Periódicos borrados
Journaux effacés
Erased Newspapers

En 2015 j’ai réalisé le court-métrage L’impression d’une guerre. Le film analyse l’utilisation de différents supports pour véhiculer un message sur le conflit armé colombien : peaux, papiers, murs, écrans, divers matériaux sur lesquels s’impriment, parfois involontairement, les marques de la guerre. Ces supports de l’information, examinés par ses qualités physiques, apparaissent ainsi comme une donnée concrète à partir de laquelle surgirait une « vérité » sur le conflit colombien.

Le début du film traite de l’origine et du destin de divers journaux qui ont échoué au moment de leur impression. Impropres à la diffusion des informations, ces journaux ratés sont remplis d’images délavées et floues qui ne représentent pas l’actualité du pays. Mais en les regardant attentivement, je me suis demandé si leurs défauts ne les rendaient pas plus éloquents sur la situation de la Colombie que les journaux correctement imprimés.

La Colombie connaît un conflit armé depuis des dizaines d’années, complexifié au fil du temps par l’arrivée de nouveaux acteurs armés et de nouvelles motivations pour poursuivre la guerre. Une guerre qu’on comprend mal, dont les raisons sont aussi floues que les images des journaux ratés. L’histoire de cette guerre est remplie de trous de mémoire, d’évènements passés sous silence, d’exactions mal répertoriées – volontaire et involontairement. Les vides d’impression des pages des journaux défectueux parlent davantage d’une mémoire collective défectueuse, que toutes les analyses proprement rédigées dans les journaux qui circulent.

Poursuivant la réflexion entamée dans le film, j’ai décidé d’intervenir directement sur les journaux. J’ai assemblé différentes pages, déchirées ou découpées en “fenêtres” qui permettent d’apprécier les couches qui se superposent. Mises ainsi en perspective, les unes derrière les autres, elles me font penser que fouiller dans la mémoire du pays est une tâche abyssale.

Les journaux utilisés couvrent une période de dix ans, entre 2005 et 2015. Chaque ensemble, confondant des feuilles de différentes dates, est une compression aléatoire de cette période. Une archive ratée de la Colombie de laquelle émergerait une vérité concrète* d’une époque du pays.

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*J‘utilise le terme « vérité » m’inspirant de la phrase « La vérité est concrète » inscrite en gros caractères sur une poutre au-dessus du bureau de Bertolt Brecht. Puisqu’elle est concrète, la vérité est donc manipulable, comme tout autre matériau.

Camilo Restrepo. 2019.